What is rising
- 2015
Le procédé du fracking est connu comme étant l'un des plus polluants pour l'environnement. On l'emploie afin d'extraire du gaz depuis les couches sous-terraines. D'immenses volumes d'eau et d'adjuvants chimiques dont les proportions exactes nous restent inconnues sont injectées à très haute pression dans les couches sous-terraines pour les fracturer faciliter la remontée des gaz et du pétrole. Au-delà des mouvements produits par des phases de sécheresse, il apparaît certain que le fracking parvient à déclencher des activités sismiques inhabituelles.
Ce qui monte est un projet qui porte sur les risques et les peurs associées au fracking. L'ensemble de l'installation et de la performance s'appuie sur l'exploitation des données séismographiques d'un tremblement de terre, utilisées alors au sein d'une composition à la fois sonore et sensorielle. L'imminente et invisible catastrophe déclenchée par l'homme se dévoile progressivement, croît au fur et à mesure, tandis que le séismographe inscrit du bout de ses aiguilles l'inexorable catastrophe.
Ce projet s’intéresse à la problématique du fracking ou dit autrement, à l’exploitation du gaz de schiste. Le point de départ du projet s’est fixé au Texas, à Dallas et ses environs. Depuis plusieurs années maintenant, des centaines de forages sont pratiqués autour de la ville et à proximité d’autres plus petites comme Denton ou Irving. Au fur et à mesure que l’exploitation du gaz se développe, d’inhabituelles activités sismiques ont été relevées. Comme la région n’était jusqu’alors pas une zone sismologique sensible, la population a suspecté que ces tremblements de terre (alors de faible magnitude mais réguliers) éaient induits par le fracking.
D’après le US Geological Survey, il y a une certitude que plusieurs tremblements de terre ayant eu lieu au centre des Etats-Unis ainsi qu’au nord-est auraient été déclenchés ou causés par les activités de l’homme, ayant crée des conditions suffisamment importantes pour induire des mouvements de couches géologiques. Les activités qui ont été ainsi identifiées sont l’injection massive d’eau souterraine, la constitution de barrages, l’extraction de fluides ou gazs et les exploitations minières.
Progressivement, plusieurs groupes de citoyens se sont constitués, se sont organisés pour réguler ou obtenir plus d’informations sur les conséquences de cette industrie. Cependant, le combat est inégal entre les deux camps. L’industrie pétrolifère et du gaz invoque l’économie, des arguments géopolitiques et s’appuie sur de puissants moyens de communication. Un vrai lobby économique et politique œuvre au maintien et développement de cette industrie. Plus que la question du fracking, ce projet interroge la notion de catastrophe et comment une civilisation se développe au contact de phénomènes naturels de grande ampleur pouvant, potentiellement, créer des catastrophes tels que des tremblements de terre, des tornades, sécheresses, etc. Mais, ce qui diffère désormais, c’est que ces phénomènes sont la conséquence directe de l’industrie. Ce qui relevait auparavant de la nature ne l’est désormais plus.
Ce qui monte, alors, est un projet qui questionne l’acception et l’ampleur du risque… Il est admis que les catastrophes font partie de la culture même des américains, de leur imaginaire. Ce concept de ‘catastrophe’, pourtant, est universel et peut être décliné dans toute autre situation et pays. Comment vivre avec, car si l’appréhension du désastre, de l’inévitable catastrophe s’inscrit dans notre culture commune, il s’avère que le désastre industriel occupe également une part de notre inconscient et sollicite notre projection au monde.
Pour ce projet, nous avons étudié plusieurs sismogrammes et observé comment convertir ces graphiques en données exploitables. Ainsi, une fois fait, nous avons crée nos propres tremblements de terre graphiques et traduit en données pour les inscrire ensuite sur des bobines de papier et les intégre sur un sismographe. Ces retranscriptions sont ainsi devenues des éléments de composition sonore, à l’instar d’une partition de musique.
Ce qui monte est, à la fois, une installation et une performance. Comme élément scénographique, nous avons utilisé un vieux sismographe auquel nous avons intégré plusieurs électroniques et moteurs, ceci nous permettant de tracer les tremblements de terre en temps réel sur des bobines vierges.
Les courbes tracées sont la retranscription directe du récit mais aussi de l’activité sismique qui, progressivement, structure l’espace de la performance. Les sons diffusés sont des captations faits par nos soins, en milieu naturel, mais aussi dans des environnements industriels (des champs de derricks, des craquements, grincements, des bruits de moteurs). Le tout est associé et combiné dans une vraie pensée musicale et constitue une composition à part entière.
La performance dure 25 minutes et implique deux performers. L’un gère la spatialisation sonore (6 enceintes et deux caisson-basse), l’autre gère la création visuelle en temps réel. Pour cela, nous nous sommes appuyés sur un ensemble de ressources vidéos empruntées à l’histoire américaine, notamment cet épisode intitulé le dust-bowl. Cette période dura 10 ans aux Etats-Unis et fut la conséquence d’une exploitation excessive des terres agricoles dans les grandes plaines. Des nuages de poussière géants, des épisodes climatiques de sécheresse et tornades mirent le pays en crise et provoquèrent un exode massif de la population vers l’Ouest. Relier la problématique du fracking au dust-bowl constitue un biais intéressant selon nous car il implique la même relation, la même articulation entre l’exploitation excessive des ressources naturelles, son industrialisation et les conséquences dramatiques pour la population.
La création sonore inclut une narration faite par deux personnages. Le contexte reste indéterminé et s’établirait plutôt dans un futur proche. Les deux narrateurs sont des opérateurs sur des puits et ont pour mission d’assurer le bon fonctionnement, la maintenance des forages. Leurs récits, intimes et bien que fort différents l’un et l’autre, nous font part de leur expérience et regard sur ce qu’ils sont en train de vivre et comment la catastrophe va transformer leurs vies. Ces narrations, écrites par nos soins, combinent à la fois des témoignages réels, des extrapolations et pensées métaphysiques sur le monde. Le récit qui est déroulé dans la performance est également une réflexion sur notre rapport à la technologie, l’énergie, la globalisation et l’autonomisation d’une civilisation.
L’un des personnages a une totale confiance dans le système, il croit en ses choix, en son efficacité et en son éthique même si elle doit briser certains individus. Ce personnage a une vision globale, patriotique. L’autre personnage est plus sensible, sans doute. Il ressent les choses, a peur et sait qu’il mourra inéluctablement dans la catastrophe. Il questionne le système, essaie de le comprendre tout en continuant à en être un rouage et étant incapable de s’en extraire. Tandis que ces deux personnages diffèrent dans leurs opinions, le récit se développe au fur et à mesure de façon dramatique. Alors, progressivement, ils en viennent à se retrouver et partager un même constat jusqu’à la conclusion fatale.
Si ce projet est sonore et visuel, il est surtout sensoriel. En utilisant des caisson-basse puissant, nous exploitons les vibrations produites par les enceintes pour les faire ressentir directement dans le corps des spectateurs et recréer, ainsi, cette même sensation d’angoisse avec des séismes. La narration implique, petit à petit, l’évidence que la catastrophe va arriver. Ainsi, ces tremblements réguliers et diffusés dans l’installation apparaissent comme des avertissements auprès du public.
Ce qui monte est donc une pièce qui joue avec la lenteur, l’écoute et la réalité. Il s’agit d’une observation philosophique de l’environnement et sa transformation et par extension de nous-mêmes. Notre relation au monde, l’énergie et la globalisation de nos civilisations.
- Séismographe modifié, données sismologiques, bandes de papier, sonification de données, vidéoprojection.
- Ce projet a été développé durant une résidence à Centraltrack, Dallas (lauréats des résidences américaines de l'Institut Français, 2015).
- Merci à Frank Dufour, université de Dallas, Heyd Fontenot, directeur de la résidence d'artistes Centraltrak.
- Développement électronique et informatique : Jean-Paul Petillon.
- Voix des personnages : Hunter Scott et Gary Hardee.
- Expositions : ATEC, Edith O'Donnel Building, UT Dallas, 2015.
- Galerie le Zoo, Nîmes, 2016. Eco-dialogues, Le Vigan, 2016.